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LASTDAYS

L’industrie musicale se remet à flow

11 Mars 2013 , Rédigé par Kitano

Des CD. (Photo Sean Yong. Reuters)

 

Après des années de disette, le secteur a progressé dans le monde en 2012, tiré par de nouveaux marchés et l’arrivée à maturité du numérique.

Par SOPHIAN FANEN
Libération

Après plus d’une décennie de mines défaites, le monde de la musique souffle un peu : le marché mondial a, pour la première fois depuis 1999, stoppé sa chute. Mieux : en 2012, il a progressé d’un tout petit 0,3%, derrière lequel se cachent des mutations jamais vues dans un secteur qui a peiné à s’adapter au tsunami Internet. Désormais, le numérique s’est hissé au rang de candidat valable pour succéder un jour au CD, tandis que de nouveaux marchés prometteurs s’ouvrent. Mais ce chambardement tous azimuts laisse des cadavres sur le bas-côté - dont le service français de téléchargement Beezik, qui a annoncé sa fermeture jeudi -, et se fait aussi au prix d’une hyperconcentration qui pose de nombreuses questions.

Une industrie à plusieurs vitesses

«Huit pays (1) ont connu une année 2012 positive, sur les 20 marchés principaux dans le monde», détaille Gabriela Lopes, directrice des études de marché de la Fédération internationale de l’industrie phonographique, qui représente le gros du marché de la musique. «Mais tous n’avancent pas au même rythme, tant leur évolution est liée à la progression des ventes numériques.» La Suède, par exemple, fait figure de paradis pour le streaming, une forme d’écoute qui permet à ses abonnés d’avoir accès à près de 20 millions de titres en un clic. L’un des leaders mondiaux du secteur, Spotify (5 millions d’abonnés payants) a été créé en 2006 en Suède, ce qui explique son succès hors norme dans le pays. En 2012, les revenus tirés du streaming y ont explosé de 55%, quand le téléchargement prenait (déjà) un coup de vieux (-25%) et que le CD continuait à décliner (-15%). De l’autre côté du monde, le jeune marché brésilien progressait de plus de 12%. La France reste, elle, embourbée dans la mutation du physique au numérique, et son marché demeure en recul de 4,4%. Mais les conditions sont réunies pour que la sortie du tunnel se fasse d’ici deux ans.

Au-delà de cette atomisation des marchés, qui sont aussi dépendants d’habitudes de consommation très différentes (la Scandinavie, riche et suréquipée, adopte le streaming quand l’Espagne préfère le téléchargement), la mutation en cours est aussi un déplacement du centre de gravité du monde de la musique. Apple, Amazon ou Deezer (lire page 4), présents au Brésil, mais aussi en Inde ou au Mexique, ont créé ex nihilo des marchés numériques là où le disque n’a jamais réussi à rapporter, plombé par des échanges pirates décomplexés. «L’Inde est d’ores et déjà entrée dans le top 20, dit Gabriela Lopes, et est déjà un marché dominé par le numérique. C’est ce qui se passera également en Chine, on l’espère, dans les prochaines années.» De là à ce que ces jeunes géants prennent la place des vieux marchés dominants (Etats-Unis, Europe, Japon…), il n’y a qu’un pas que tout le monde imagine franchi dans la décennie.

 

Le vieux CD fait de la résistance

Le CD fatigue, mais il rapporte encore gros. Tellement que les maisons de disques ont pendant une bonne partie des années 2000 refusé de s’aventurer sur Internet pour sauvegarder ce format qui fut, de loin, le plus rentable de l’histoire de la musique. En France, le disque compact a encore représenté - avec la niche du vinyle - plus de 60% des revenus de la musique en 2012.

Et cette part est encore plus importante dans le monde de la musique indépendante, où les auditeurs s’attachent plus facilement à l’objet, ses visuels et ses notes de pochette. Luc Devaud dirige Differ-Ant, l’un des principaux distributeurs de ces disques «indé» : «On nous parle du numérique et encore du numérique, mais le CD reste essentiel. Peut-être que la musique la plus commerciale ne s’écoutera bientôt plus que sur Internet, mais il restera toujours un public qui peut être intéressé par un objet, qui ne sera pas forcément le vinyle. Le vinyle, c’est bien souvent aujourd’hui de la passionite : 30% des acheteurs ne l’écoutent jamais, ils se contentent de le ranger sur une étagère et d’écouter le disque sur Spotify !»

un monde Hyperconcentré

La dématérialisation de la musique est également en cours sur le terrain. Depuis un an, la Fnac a réduit la place de la musique dans ses magasins et abandonné son service de téléchargement. Puis la chaîne britannique HMV a fait faillite, avant que Virgin Megastore ne dépose le bilan et que Harmonia Mundi n’annonce la fermeture de 15 magasins. Pendant ce temps, Apple squatte quelque 80% du marché mondial du téléchargement et travaille pour se lancer dans le streaming. Google tire lui aussi dans tous les sens, tandis qu’Amazon domine outrageusement la vente de CD en ligne et que le monde du streaming se partage entre une poignée d’acteurs (Deezer, Spotify, Muve et Pandora aux Etats-Unis, l’outsider Dhingana en Inde…). Les géants du Web sont aussi devenus les géants de la musique. «Nous craignons cette hyperconcentration, car ça n’a jamais été un bon signe pour la diversité économique, qui est un élément de la diversité artistique, avertit Bruno Boutleux, directeur général de l’Adami, la société française de gestion de droits des artistes-interprètes. De plus, le fait que la plupart de ces entreprises soient américaines et ne paient pas d’impôts en France déséquilibre la situation.» Même ambiance à la Sacem, qui défend les auteurs et compositeurs : «Quand Apple est arrivé avec l’iTunes Store et ses beaux iPod, ils ont imposé un prix à perte sur le téléchargement. Ils s’en moquent, puisqu’ils s’y retrouvent en vendant des appareils, mais les artistes sont les perdants» (lire page 4).

Autre concentration : les maisons de disques. Avec la disparition d’EMI, les majors ne sont plus que trois (Universal, Warner et Sony) et jouent un double jeu troublant auprès des services de streaming : le patron de Warner, le milliardaire Len Blavatnik, a investi 100 millions d’euros en octobre dans Deezer et se serait rapproché du futur service made in Google, tandis qu’il impose (comme ses concurrents) un droit d’entrée prohibitif à tous les services de musique numérique. Le français Beezik vient d’en faire les frais et d’annoncer sa fermeture. «Les majors voulaient la grande majorité de nos revenus ; un sens du partage particulier, commente Jean Canzoneri, cofondateur de Beezik. Il faudrait que nous, qui avons inventé avec d’autres une nouvelle façon d’écouter de la musique, prenions tous les risques sans pouvoir en tirer profit ? Deezer ou Spotify ont peut-être les moyens de financer la révolution, mais ça ne nous intéresse pas si les maisons de disques n’en prennent pas leur part.»

La guerre du partage des revenus

Si tout était à peu près clair dans le monde physique, l’économie numérique de la musique multiplie les zones d’ombres et les micropaiements qui la rendent difficile à arpenter. Ce qui a déclenché une bataille, en cours, sur le juste partage de ses bénéfices entre les différents acteurs (plateformes, labels, artistes). Pour la Sacem, «les revenus sont corrects, mais on distribue une somme globale identique entre davantage de personnes, puisque le numérique permet à plus d’artistes d’être écoutés».

A Bordeaux, le label Vicious Circle, qui fête ses 20 ans, ne voit pas les choses de la même façon. «Il y a clairement de grosses forces en présence qui assèchent ce que pourrait rapporter le numérique, assure Philippe Couderc, son directeur. C’est désormais le rôle du politique de se saisir de ces questions, pour s’assurer que toutes les entreprises artistiques, petites ou grandes, puissent se développer. Il a fallu dix années pour que la guerre entre les créateurs et les tuyaux de distribution commence vraiment. Mais je ne sais pas si Vicious Circle sera encore là pour en voir la fin.»

(1) Suède, Norvège, Canada, Australie, Brésil, Mexique, Inde et Japon.

Photos Akatre

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