Mais pourquoi Tom Waits attaque-t-il Bartabas ?
En somme, Tom Waits reproche à Bartabas de lui avoir rendu publiquement hommage et entend lui faire payer très cher - 500.000 euros - son magnifique exercice d'admiration. Le chanteur californien, aujourd'hui plus entouré d'avocats que de musiciens, veut bien qu'on l'aime, mais à condition de cracher au bassinet. Il n'y a pas que la voix, chez lui, qui soit abrasive. Tout cela serait ubuesque si ce n'était pathétique.
Mais reprenons l'affaire à son début afin de la rendre audible. En juin 2015, le chef de la tribu Zingaro crée son nouveau spectacle, «On achève bien les anges», et fait descendre le ciel sur la terre. Cette fois, après avoir emprunté aux fanfares tsiganes, au pansori coréen, aux trompettes tibétaines, ou aux œuvres de Stravinsky et de Boulez, l'écuyer en appelle à Bach, Messiaen et Tom Waits, dont plusieurs chansons rythment ses solos à cheval et ses piaffers mélancoliques. Auparavant, le Français a bien tenté de joindre l'Américain, via son agent, pour lui faire part de son projet. Mais pas de réponse. Mépriserait-on, dans le comté de Sonoma, le Gitan de Seine-Saint-Denis?
Alors, les « Anges » prennent leur envol, enthousiasment les critiques et le public, et remettent au goût du jour les chansons de Tom Waits, que les plus jeunes des fans de Bartabas ignoraient. Chansons dont, depuis le premier soir, le théâtre Zingaro déclare scrupuleusement les droits à la Sacem et la SCPP.
Jusqu'à l'été dernier où, profitant d'une pseudo-enquête publiée dans «Vanity Fair», le bluesman ronchon s'estime soudain volé, dépossédé, plagié par celui dont il ignore le travail, dont il n'a pas vu le spectacle, et qui pensait seulement, le naïf, saluer un lointain grand frère. Il lance alors un bataillon d'avocats à l'assaut du chapiteau d'Aubervilliers, exige des réparations financières et l'interdiction pure et simple, avant sa reprise le 30 septembre, d'«On achève bien les anges».
Par ordonnance du 15 septembre, la présidente du tribunal de grande instance de Paris n'a pas accédé à la requête en référé de Tom Waits et de son épouse, elle a même condamné ces derniers à verser 5000 euros à Bartabas, mais on aura remarqué, à cette occasion, l'éloquent silence du petit monde culturel français, d'ordinaire si prompt à s'offusquer contre des broutilles et à pétitionner pour des balivernes.
Mais qu'un artiste veuille suspendre l'œuvre d'un autre artiste et demande à la justice qu'elle ferme son théâtre, ça ne choque donc personne? On comprend que, déçu par la fréquentation des humains, le lonesome cavalier préfère la compagnie des chevaux.
Jérôme Garcin
“Les Parisiens” : Olivier Py signe un roman illisible et infantile
Au Festival d'Avignon, qu'il dirige depuis trois ans, même dans le «off», même sous la contrainte et même si la compagnie théâtrale était en redressement judiciaire, on ne voudrait pas d'un texte pareil.
Voici en effet, parmi cent autres, quelques dialogues du livre, relevés sous abri, un jour de canicule: «C'est pour être à la hauteur de ton midi que j'ai inventé une nuit polaire», «Tu ne m'as rien appris, mais tu as rendu possible le pacte de mon âme avec l'imprescrit», «Je voudrais poémiser le présent», «Il faut être superficiel par profondeur» ou «La gloire est la clé d'un malheur sans fenêtres» (n'est-elle pas plutôt, la gloire, le toit en chaume d'un bonheur sans Velux?).
Le seul à goûter cette invraisemblable logorrhée criblée de néologismes infantiles (de «l'exagérance» à «la putitude»), c'est le personnage principal, Aurélien, que toutes «ces paroles ravissent au point qu'il se branle de manière philosophique». Une manière où l'on reconnaît bien Olivier Py, auteur authentiquement dramatique, dont «les Parisiens» (Actes Sud, 22,80 euros) est le quatrième et ventripotent roman (540 pages).
Dans cette version queer de «la Comédie humaine», voici donc Aurélien, un Rastignac venu de Dijon afin de conquérir Paris et d'y faire triompher «Pénélope», une pièce qu'il vient d'écrire et dont certains personnages du roman jugent le style «grandiloquent, pompeux, ampoulé», mais les gens sont méchants. Pour parvenir à ses fins et devenir «le roi de cette ville crasseuse», Aurélien écume les backrooms, où on baise, et les lieux de pouvoir, où on se fait baiser, en appelle à Dieu, qui ne répond pas, et s'introduit, sans protection, dans un petit monde culturel - musique, danse, théâtre - où la vanité le dispute à la lâcheté, la perfidie à la jalousie, et qu'il «inonde de son jeune sperme conquérant».
L'occasion, pour l'auteur, de régler ses comptes avec l'ex-ministre de la Culture Frédéric Mitterrand ou de saluer le patron du Français, Eric Ruf. Mais de ce qui aurait pu donner un pamphlet acerbe ou une amusante parodie, Olivier Py a eu la mauvaise idée de tirer une énorme farce mystico-morbido-gay au grotesque involontaire, où l'on apprend que «jouir est un envol éphémère dans la Miséricorde» , que «la musique est La souffrance» et que «le théâtre est le lieu du non-savoir». Somme toute, il n'y a pas plus parisien que ce roman à clés prétendument lancé contre les Parisiens. Preuve, d'ailleurs, qu'il est parisien: c'est un roman illisible.