Soir de gala, de fête et de dernière pour le journaliste et écrivain Jérôme Garcin. Vendredi 22 décembre au soir, le studio 104 de Radio France affiche complet, des spectateurs s’installent même sur les marches des escaliers, l’ultime "Masque et la Plume" présenté par Jérôme Garcin va débuter dans quelques instants. Quelques essais voix des micros des nombreux invités présents ce soir pour cette émission spéciale de la doyenne de la radiophonie française. « Bienvenu au petit nouveau Jérôme », s’amuse Nicolas Schaller de l’Obs. Le public, déjà très réactif, ne perd par une miette des coulisses de la dernière représentation. « C’est une pièce de théâtre » rappelle souvent Jérôme Garcin au sujet de l’émission qu’il anime, la célèbre « Fileuse » de Felix Mendelssohn résonne dans le studio tel les neuf coups au théâtre pour attirer l’attention du public.
Ici, s'empilent les souvenirs de 34 ans de présentation depuis 1989 avec près de 1900 émissions pour Jérôme Garcin : « Le Masque… et la Plume » clame-t-il enfin pour la dernière fois. « Bonjour à toutes et tous, qu’il est beau ce public » n’omet-il pas de souligner, suivi d’une salve d’applaudissements nourries. « C’est une émission tellement française, que le monde nous l’envie, elle s’est affinée comme un bon vin et je la présente avec la même ivresse qu’au début, joue-t-il avec les mots comme à son accoutumé. Mais le Masque ne m’appartient pas, il est à France Inter et ne m’est que prêté et je vais la prêter à mon tour à Rebecca Manzoni qui présentera l’émission à la rentrée ». Avant d'entamer les tours de tables, Jérôme Garcin présente le guitariste qui se chargera des transitions musicales : son fils Clément Garcin, présent pour une dernière en famille.
Une émission spéciale
Cette ultime émision s’articule en cinq scènes représentées chacune par des tours de tables avec invités spécialisés en littérature, cinéma et spectacle. Elle débute par le film L’innocence de Hirokazu Kore-eda encensé dans l’ensemble par les critiques. « Kore-eda n’a fait que des bons films sauf un à Paris car Juliette Binoche est dedans », cingle Eric Neuhoff du Figaro, s’ensuit des réactions rieuses du plateau et des gradins. Un ton moqueur singulier à l’émission qui ne se cache pas pour descendre en flèche des œuvres. Jérôme Garcin continue de passer naturellement les plats en demandant aux critiques leurs avis et leurs livres de chevet du moment.
Entre les différents plateaux, sont diffusées des archives de l'émission. Comme un extrait de l'émission du 29 juin 1969 sur la comédie musicale « Hair » mettant en scène Julien Clerc. « J’ai 13 ans, on m’offre une radio grésillante et je découvre une émission radio, à ce moment j’ai attrapé le virus du Masque et la Plume, la maladie du dimanche soir », raconte Jérôme Garcin à un auditoire conquis. Les invités s’enchaînent, Jérôme Garcin les accueille et distribue la parole comme le chef d’un orchestre bien huilé et complice depuis de nombreuses années. Pour la critique de « Cyrano de Bergerac » d’Edmond Rostand mis en scène à la Comédie-Française, les critiques pleuvent et Jacques Nerson de l’Obs déplore « un choix de mise en scène queer, déconstruit, mais qui n'est pas assumé jusqu’au fond, c’est du simili-queer ». « Le Masque et la Plume c’est d’abord un spectacle », rappelle le présentateur au bord de la retraite.
Durant une autre archive, Jérôme Garcin, qui partageait cette passion de la littérature avec son père Philippe Garcin (ancien directeur littéraire des Presses universitaires de France), a la tête levée au ciel, le regard plongé dans le vide. Puis les critiques reprennent, avec le dernier album d’Astérix, L’Iris Blanc de Didier Conrad et Fabcaro (Albert-René), l'occasion pour les invités de comparer le Masque à un banquet Gaulois familial. Jean-Claude Raspiengeas de La Croix présente Nos dimanches soirs (Grasset), un livre de Jérôme Garcin lui-même. « Tu as été benjamin, animateur et mémoriste, je t’exprime ma gratitude », rend-il hommage avec émotion. Émotion partagée par les spectateurs venus en nombre, comme Rozenn et Nathan, étudiants : « C’est émouvant car ça fait longtemps qu’on les écoute, il y a un sentiment bizarre car c’est la fin d’une ère. »
Scène finale
Les archives se poursuivent, avec des extraits des présentateurs Michel Polac et Pierre Bouteiller, qui se sont relayés au poste de metteur en scène de cette troupe de critique avant Jérôme Garcin. Ultime tour de table autour de deux films dont 5 hectares d’Emilie Deleuze sur un citadin parti refaire sa vie à la campagne, une ruralité chère à Jérôme Garcin qui cultive une passion pour les chevaux. En réponse à l’expression courante employée à cette occasion par Camille Nevers de Libération : « c’est en forgeant qu’on devient forgeron », Jérôme Garcin ajoute « C’est en masquant qu’on devient mousquetaire », symbole de toutes ces années et tous ces duels entre critiques qui ont visité son plateau.
Rebecca Manzoni remplace les derniers invités pour une passation de relai finale : « Il est temps de te céder les rênes et je m’y connais », s’amuse le presque ex-présentateur. En symbole, le générique de La Fileuse est lancé une dernière fois, « Le Masque…, lance Jérôme Garcin,...et la Plume », reprend Rebecca Manzoni. Après une présentation de la nouvelle animatrice, Jérôme Garcin remercie les invités et le public, tous debout pour l’applaudir pendant plusieurs minutes et lui lancer des « Merci ! ». Le journaliste bouleversé et ému aux larmes, joints ses mains, les porte sur son cœur et se cache même le visage pour masquer son émotion. « C’est une grande joie et une grande tristesse en même temps. Grande joie car ça continue avec Rebecca et grande tristesse parce que c’est 45 ans de ma vie qui se terminent ». Le rideau tombe sur 34 ans à la tête du Masque et de la Plume.