Dramaturge, metteur en scène, cinéaste, réalisateur télé, le patron du Théâtre du Rond-Point est si vibrionnant, provocant, militant et abondant qu’on a parfois envie, à la manière du client de la pub Maaf empruntée à sa série «Palace», de s’exclamer : «Je l’aurai un jour, je l’aurai !» Mais c’est lui, Jean-Michel Ribes, qui nous a. Et en beauté.
Faisant exploser en «Mille et un morceaux» (L’Iconoclaste, 23 euros) les lois de l’autobiographie, d’ordinaire engluée dans la solennité, il saute dans son passé tel un cabri, se joue de ses propres souvenirs, et pratique, une fois encore, le rire de résistance.
Ainsi cette scène, hilarante et horrifique, où, à la suite d’une alerte cardiaque, Ribes se réveille en pleine nuit à l’hôpital Cochin avec, pour unique infirmière, une intégriste de Civitas, le mouvement qui a mis sa tête à prix depuis qu’il a accueilli, au Rond-Point, «Golgota Picnic», la pièce jugée blasphématoire de Rodrigo Garcia. Lorsque, une main sur la perfusion, elle lui a demandé de se confesser, il s’est vu mourir.
Dans ces Mémoires follement ressemblants, on apprendra aussi que son chat a failli rendre aveugle Jean Mercure, qu’il a cru tuer Montherlant trois mois avant son suicide, qu’il a renversé une cafetière sur Ionesco, qu’avec Jacques Dutronc et Jacques Villeret il a distribué des cartes de la «Joconde» aux fous de Sainte-Anne, qu’il est allergique à l’alcool, accro aux femmes et shooté au théâtre.
Même les morts – les siens, comme les célèbres – ont l’air heureux de revivre sous sa plume. Ribes est un enjôleur, doublé d’un enjoliveur.
Jérôme Garcin
Paru dans "l'Obs" du 27 août 2015.