Pierre Tchernia nous a appris la passion du cinéma,l'humour bienfaisant, la connaissance pas pédante, le respect souriant et l'amitié.
Les colonnes de BUREN
Pierre Tchernia est mort à l’âge de 88 ans
A lire sur lemonde.fr
L’ensemble du monde de la télévision est en deuil. Pierre Tchernia s’est éteint à l’âge de 88 ans dans la nuit de vendredi à samedi. C’est par les voix de son fils et de son agent, relayées par l’AFP et Artmedia que la triste nouvelle a été confirmée ce samedi. “L’état de santé de papa s’est dégradé il y a 8 jours, il est mort à 3 heures du matin dans nos bras”, a ainsi annoncé Antoine Tchernia à l’AFP. “Il est parti dans la sérénité entouré de sa famille”, a ajouté deson agent pour Artmedia.
Surnommé “Monsieur cinéma”, Pierre Tchernia était réalisateur, acteur, scénariste et présentateur de télévision dans des émissions comme Discorama, Cinq colonnes à la une, Mardi cinéma ou encore Les Enfants de la télé.
“L’Obs” a lu les 1200 lettres d’amour de Mitterrand à Anne Pingeot
C’est un beau roman, c’est une belle histoire, c’était sans doute un jour de chance, ils avaient le ciel à portée de main, et ils ne l’ont pas déçu. Lorsqu’ils se sont rencontrés pour la première fois, au début des années 1960, sur la plage estivale d’Hossegor, François avait 46 ans et Anne, 19. N’était leur amour commun pour la littérature, ils ne se ressemblaient guère.
EXTRAITS EXCLUSIFS. “Anne, mon amour…” : les lettres secrètes de Mitterrand à Anne Pingeot
L’encore jeune socialiste Mitterrand avait déjà une partie de sa carrière derrière lui (il avait été douze fois ministre, il était sénateur de la Nièvre); la très jeune, ravissante et bourgeoise Mlle Pingeot avait toute sa vie devant elle. Lui avait une femme, Danielle Gouze, épousée en 1944, et deux fils adolescents, Jean-Christophe et Gilbert. Lorsqu’elle ne vivait pas chez ses parents, Anne logeait, à Paris, dans un foyer de jeunes filles.
Dans la première lettre qu’il lui envoie, le 19 octobre 1962, depuis le palais du Luxembourg, François Mitterrand s’engage à lui trouver le volume sur Socrate dont ils avaient parlé, un soir, à Hossegor. Suivront plus de 1200 autres lettres, que l’on découvre aujourd’hui avec stupéfaction.
Cette Correspondance amoureuse, par sa longévité, son intensité, son exclusivité, sa clandestinité et surtout sa qualité littéraire, défie en effet la raison politique. Si elle confirme le talent singulier du Mitterrand écrivain, qui fut notre dernier président à vénérer la langue française, user du subjonctif passé, connaître le chromatisme des métaphores et pouvoir écrire, comme ici, de vibrants poèmes d’amour, elle corrige, en le réévaluant à la hausse, en lui ajoutant soudain un tremblé inédit, le portrait doré à l’or fin du monarque florentin, volage, infidèle et cynique.
Car oui, François Mitterrand a follement aimé, et jusqu’à son dernier soupir, Anne Pingeot, qui avait la grâce, la foi et le goût des beaux-arts. Elle fut sa passion fixe. Elle fut aussi son grand regret: quel gâchis, suggère-t-il au moment où la maladie l’emporte, d’avoir caché une si belle flamme pendant plus de trente ans et d’avoir condamné à l’ombre sa «femme-fille-fleur-fruit-beau soleil».
Mais quelle chance, aussi, de lui avoir épargné les rigueurs du protocole et le poids de la charge présidentielle, d’avoir empêché cette figure poétique de tomber dans la prose de l’exécutif : car si Anne ne fut pas la première dame, elle fut sans conteste son grand amour.
Un amour que, dès le début, François Mitterrand, lecteur de Barrès et de Drieu, inscrit avec lyrisme dans la durée. Même s’il est marié (il n’envisagera jamais de quitter sa femme), il n’imagine plus sa vie sans celle qui pourrait être sa fille et dont l’âge, à lui seul, est une promesse d’avenir, comme une revanche sur sa propre finitude. 15 novembre 1964:
Anne Pingeot, le miroir intime de François Mitterrand
S’il lui écrit de si longues lettres, avec d’incomparables descriptions des paysages et des ciels d’une France dont Anne serait l’incarnation idéale, ce n’est pas seulement pour la séduire, pour la conquérir, c’est aussi pour tenir, en secret et en marge de l’histoire officielle, le journal de son grand destin (on a ici une nouvelle fois la preuve que cet homme avait beaucoup d’ambition et qu’il ne se détestait pas): à son «Anne chérie», sa «Nannon aimée», son «canard à l’orange amère», sa «Nannour», son «Animour», il raconte dans le détail ses tournées de député, les débats houleux à la Chambre, le propos des articles et des livres qu’il rédige, sa première candidature à la présidence de la République, les coups qu’il reçoit, ainsi que les innombrables parties de golf qui ponctuent, avec autant de trous, son long parcours politique – «Quel chemin à gravir !» (septembre 1965).
En lui écrivant, il s’écrit aussi à lui-même, et tout laisse à penser ici qu’il envisageait une publication posthume de cette Correspondance.
Mais, pour tenir dans le temps, cet amour clandestin connaît de nombreuses crises. Même si ce volume ne contient pas les lettres d’Anne Pingeot (quelques très rares apparaissent, à partir de 1981, où elle l’appelle «Mon univers Anchois Pommier», «Mon créateur de joie» ou «Mon très très cher amour»), on mesure, en lisant celles de François Mitterrand, que la jeune femme ne s’accommode pas d’être sans cesse dissimulée, demande à partager sa vie, ou alors de pouvoir jouir de sa pleine liberté, ce qu’il ne supporte guère, et qu’elle veut bientôt avoir un enfant de lui. Mazarine naquit le 18 décembre 1974, à Avignon, et ce fut le plus beau jour de sa vie.
A partir de cette date, et plus encore après son élection à la tête de l’Etat, les lettres de François Mitterrand sont moins nombreuses. C’est qu’ils ont désormais tous les trois, entre Gordes, Souzy-la-Briche et la rue de l’Université, une vraie vie de famille, fût-elle encore officieuse. Mais ni sa fonction élyséenne ni le calvaire de la maladie ne mettront fin, au contraire, à l’expression de son amour fou pour celle à qui, en juillet 1967, il écrivait: «T’aimer est en soi une œuvre passionnante» et, en août 1969, à la manière du maître en théologie Abélard se brûlant pour sa jeune et pieuse élève Héloïse: «Notre amour me donne le sentiment de l’éternel.»
"Lettres à Anne, 1962-1995", par François Mitterrand,
Gallimard, 1280 p., 35 euros (à paraître le 13 octobre).
Cette Correspondance, qui se termine le 22 septembre 1995 par ces mots d’un homme au seuil de la mort: «Tu as été ma chance de vie. Comment ne pas t’aimer davantage?», Anne Pingeot la plus que discrète a donc fait le choix de la publier. C’est l’Institut Mitterrand, présidé par Hubert Védrine et au conseil d’administration duquel siège Mazarine Pingeot, qui lui a proposé de la rendre publique. Comme elle a eu raison d’accepter et d’y ajouter, en épigraphe, cette phrase de Montaigne:
Car ces lettres ne dessinent pas seulement le meilleur autoportrait de François Mitterrand, ce conservateur contrarié, elles composent aussi, en creux, le plus éclairant portrait de l’invisible Anne Pingeot.
Jérôme Garcin
Sur France Culture, une des émissions à ne pas manquer
Sonia Kronlund est une conteuse. Elle tisse un récit captivant en préambule des documentaires de son émission. Et quand elle répond à notre questionnaire, ce sont encore de toutes petites histoires qui surgissent. Comme « Anne Gaillard et ma mère », ou « Radio rangement »...
Pourquoi la radio ?
Parce que la radio, y a que ça de vrai !
De quelle station êtes-vous l'enfant ?
J’ai commencé à France Inter ! Et c’est aussi la radio que j’écoutais enfant.
Où écoutiez-vous la radio ?
Dans la cuisine ! Ma mère adorait L’Emission d’Anne Gaillard (1975-78) qui défendait avec véhémence les droits des consommateurs. C’était à la fois la naissance du consommateur et la libération de la femme. Une fois l’émission terminée, ma mère devenait elle-même Anne Gaillard, et partait en croisade au supermarché, dénonçait des scandales, faisait vider les rayons, remplacer les produits…
Si vous étiez une émission mythique ?
Passé les bornes, y a plus de limites sur France Inter reste ce qu’il y a eu de plus fou, de plus fin, de plus drôle à un moment donné sur la radio nationale publique.
Si vous étiez un générique de radio ?
Rien que d’entendre le générique du Masque et la Plume, on sait qu’on va échapper au blues du dimanche soir.
De quel animateur ou journaliste radio auriez-vous rêvé d'avoir la voix ?
Clara Candiani, au début des années cinquante, lorsqu’elle lance son émission Les Français donnent aux Français ! Une voix un peu perchée, mais l'animatrice est à fond dans son rôle. Et surtout, elle donne très tôt la parole à ceux qu’on n’appelait pas encore les vraies gens mais juste les pauvres gens ou les petites gens.
Votre première expérience en radio ?
Mon premier reportage pour Là bas si j’y suis sur France Inter était un micro-trottoir un peu sophistiqué sur le thème « la maison de vos rêves ». Je n’avais alors jamais touché un micro. J’y suis retourné une quinzaine de fois et ça m’a finalement pris quatre mois... Puis le reportage est enfin passé.
Avec-vous le trac du direct ?
Ce n’est pas du trac. C’est juste que je VAIS mourir !
Que faites-vous en écoutant la radio ?
J’aime par-dessus tout écouter la radio en rangeant. Meilleure est l’émission, moins bon est le rangement... Car le but – surtout d’un documentaire ou d’un reportage – est de vous faire cesser toute activité, y compris le rangement, pour l’écouter captivée, en regardant le transistor ou le smartphone et en riant (ou pleurant) toute seule.
Podcastez-vous vos émissions préférées?
Je suis abonnée à une vingtaine de podcasts, surtout des programmes élaborés, des documentaires, des récits, des enquêtes. Je podcaste peu d’entretiens ou de magazines. J'aime tout particuliérement les émissions américaines très populaires comme This American Life ou The Moth Radio Hour (dont je m’inspire allègrement dans Les Pieds sur terre). Plus récemment, je me suis abonnée à LSD La Série Doc, une nouvelle série documentaire sur France Culture à ne pas manquer !
Votre pire souvenir de radio ?
Une interview de Luc Moullet, pour la matinale de France Culture que j’ai présentée un été. J’admirais beaucoup ce cinéaste que je trouvais hilarant, alors je l’ai invité à 7 heures. Je ne crois pas qu’il ait fait de réponse de plus d'une syllabe. « Je ne sais pas » a peut-être été sa plus longue phrase. Mes questions étaient sans doute idiotes, il était peut-être trop tôt le matin (ou les deux).
Un moment de radio que vous aimeriez réentendre ?
Le voyage de Daniel Mermet et Sylvie Coma en Iran, à la fin des années 80, toujours pour Là-bas si j'y suis. A l’époque, très peu de reportages sont tournés sur place. C’est un grand moment et de radio et d’histoire.
Les Pieds sur terre, du lundi au vendredi, 13h30 sur France Culture.
Un pigeon voyageur emprisonné pour espionnage
A lire sur 20minutes.fr
En Inde, on ne rigole pas avec les menaces d’attentat. Tous les suspects sont logés à la même enseigne, même quand ils ont des petite pattes griffues, des plumes et une capacité de réflexion plutôt limitée.
C’est au bord de la très surveillée frontière entre l’Inde et le Pakistan qu’a été arrêté un pigeon avant d’être placé en détention. Le volatile avait un message couvert de menaces accroché à l’une de ses pattes. Une attitude qui ne passe pas lorsque l’on traverse une frontière hyper militarisée.
D’après 20 minutes, l’oiseau qui transportait un message en ourdou, “a été découvert par la police des frontières dans la ville de Pathankot, au Pendjab indien“. C’est à cet endroit qu’une base militaire avait été attaquée par des insurgés pakistanais en janvier dernier, une offensive qui avait fait sept morts.
Complice des djihadistes
L’inspecteur de police de Pathankot, Rakesh Kumar, raconte que “la force de sécurité de la frontière l’a trouvé avec une note en ourdou disant quelque chose comme: ‘Modi (Le nom du Premier ministre indien), nous ne sommes plus les mêmes personnes qu’en 1971. Maintenant chaque enfant est prêt à combattre l’Inde‘“. 1971 fait référence à la date de la dernière guerre officielle opposant l’Inde au Pakistan, qui se battaient à cause de la sécession du Pakistan oriental, désormais devenu le Bangladesh.
Cette lettre menaçante est d’après la signature, l’œuvre de Lashkar-e-Taiba, un groupe djihadiste pakistanais. Auteur, entre autres, des attentats de Bombay de 2008 qui avaient fait 188 morts. “Nous prenons donc la menace très au sérieux” a déclaré Rakesh Kumar. Tellement sérieusement que le pigeon a été mis sous les verrous.
Le malheureux volatile restera à l’ombre des barreaux jusqu’à la fin de l’enquête. Une pratique qui n’est pas nouvelle puisque d’autres pigeons ont déjà été accusés d’être des espions pakistanais. Cette méfiance qui n’épargne personne pourrait s’expliquer par le contexte de fortes tensions entre l’Inde et le Pakistan à propos de la région du Cachemire.
Moby est végane
Moby : “Quand je suis devenu végane, l’OMS considérait que c’était une maladie mentale”
Alors que son prochain album s’apprête à sortir, Moby lance un festival végane à Los Angeles. On revient avec lui sur 30 ans d’engagement pro-animal.
Pourquoi avez-vous décidé de mettre en avant votre activisme au moyen d’un festival ?
Je suis un activiste depuis maintenant 30 ans, et un végane depuis 29 ans. Au début, c’était simplement parce que j’aimais les animaux. Puis peu à peu, ce choix personnel a commencé à s’inscrire dans un raisonnement politique beaucoup plus global. Je me suis intéressé à des problèmes écologiques, sanitaires, liés à la famine, à la diffusion de maladie, à la déforestation, à l’effondrement de nos systèmes immunitaires, et encore une ribambelle de catastrophes à la source desquelles on retrouve toujours la même cause : la viande et l’élevage industriel. Aujourd’hui mon militantisme compte au moins autant pour moi que la musique. J’ai ouvert l’an dernier un resto végane dont l’intégralité des bénéfices est remise à des assos. L’organisation d’un festival était une façon de marquer le coup, de monter d’un cran.
Vous trouvez que la société a évolué récemment dans son regard sur l’activisme animaliste ?
Bien sûr… Quand je suis devenu végane, les gens savaient à peine prononcer le mot. L’OMS considérait encore que c’était une maladie mentale. Aujourd’hui, j’ai l’impression que chaque jour j’entends parler d’une nouvelle célébrité végane. Internet a bouleversé la rapidité à laquelle se diffusent les idées, et les gens prennent conscience de beaucoup de choses. On ne peut même plus leur faire le coup de la sympathie qu’on éprouve naturellement pour l’agriculture artisanale, la petite ferme avec deux hectares de maïs, trois vaches et une cheminée qui fume : parce que ça n’existe plus. Ce sont des conglomérats immenses, comme en France avec votre ferme des mille vaches qui suscite beaucoup de controverse. En Amérique, nous avons hélas déjà bien pire…
Votre nouvel album, qui sort le 14 décembre chez Because, s’appelle These Systems Are Failing. On parle de quel système ?
Peut-être de l’idée même de système. Quand j’ai fait de la philo à la fac, le premier cours que j’ai eu concernait ce qu’on appelle le sophisme naturaliste : l’erreur logique qui consiste à déduire que parce que quelque chose est, alors cela doit continuer d’être. Cette mécanique est celle contre laquelle on se bat quand on défend les droits animaux, et elle concerne bien sûr beaucoup d’autres combats politiques.
Mettre de l’engagement politique dans votre musique, c’est délicat ?
Forcément. La musique populaire a une longue histoire d’engagement politique, de John Lennon à Chuck D en passant par Neil Young. Certains s’y sont sans doute un peu perdus. Si cela concerne autant d’artistes, au-delà du petit soupçon d’infatuation qui plane forcément, c’est aussi que la notoriété engage une certaine responsabilité. J’ai un public, une audience, ce serait du gâchis de ne pas en profiter. La question, c’est comment faire ça sans compromettre la musique…
Quand tout le showbusiness se met au véganisme, c’est une démarche sincère ?
Tout le showbusiness, n’exagérons rien… Effectivement, certains font ça pour attirer un peu l’attention des médias. Mais c’est très difficile de porter des jugements définitifs sur la bonne foi de chacun, parce qu’un novice un peu opportuniste, s’essayant par calcul au régime de Beyoncé, Bill Clinton et Jared Leto, peut très bien devenir un militant très remonté dans quelques années. Leonardo DiCaprio est un activiste ultra investi, il donne de son argent, de son temps, de son image, au service de la cause qu’il défend et c’est admirable. Mais il y a 20 ans, est-ce qu’il aurait donné cette même impression ? Et est-ce qu’il aurait fallu le décourager pour autant ? Si un activiste végane était venu me parler une semaine avant que je me mette au véganisme, il m’aurait sans doute trouvé dans un Burger King. Et s’il m’avait gueulé dessus, je ne serais peut-être jamais devenu végane. Parce que personne n’aime se faire gueuler dessus…
Vous êtes optimiste sur l’avenir ?
Pour les animaux, oui. Les idées animalistes progressent et je suis stupéfait de voir à quel point le regard de la société change. Pour les humains, c’est une autre histoire, je n’ai pas beaucoup d’espoir pour notre avenir.
La chanson la plus chantée du siècle
Mais pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi cette petite chanson s’est-elle retrouvée entonnée en chœur (viril, le chœur…) par des millions de supporters dans tous les stades du monde, puis chantée dans les cours de récré par des gamins qui n’étaient même pas nés l’année de sa sortie (2003), puis reprise à toutes les sauces (techno, jazz, fanfare, sirène de paquebot…) ? Des chansons de stade, il y en a eu d’autres avant. Des tubes pop mondiaux et des hymnes transgénérationnels, aussi.
Mais le destin de Seven Nation Army est sans doute un cas unique dans l’histoire de la musique pop : une mélodie chantée partout, par tout le monde, sans qu’on n’en connaisse les paroles, ni même souvent le nom du groupe qui l’a composée. Juste cette ligne de guitare qui sonne comme une basse et qui fait poo-po-po-po-po-po-poo. Une suite de sept notes entrée dans la culture populaire mondiale, un truc qui nous colle au cœur et au corps.
“La maison de disques ne voulait même pas sortir ‘Seven Nation Army’ en single” Jack White
Le précédent historique, c’est po-po-po-pom – La Cinquième Symphonie de Beethoven, presque deux siècles plus tôt. “Le destin de Seven Nation Army, une chanson entrée au panthéon de la pop, c’est le rêve de tout compositeur. Elle n’a pas été conçue pour être un tube. Ça paraît dingue avec le recul, mais la maison de disques ne voulait même pas la sortir en single, j’ai dû insister”, nous disait Jack White en 2007.
Seven Nation Army est née à Melbourne, en Australie, en janvier 2002, pendant les balances d’un concert. Jack White trouve un riff sur sa guitare, les quelques personnes qui l’entendent apprécient, et Jack le garde pour plus tard, pour l’enregistrement du quatrième album des White Stripes.
En 2002, les White Stripes ne sont pas encore aussi gros qu’un éléphant, mais ils sont déjà énormes. Leur troisième album, White Blood Cells, sorti l’été précédent, est un assez improbable carton : White Blood… sells à plus d’un million d’exemplaires.
Un style et une vision
Mais pourquoi ? Pourquoi eux ? Pourquoi ce petit duo de Detroit formé une poignée d’années plus tôt est-il devenu le groupe du moment ? D’abord, parce que leurs chansons (celles de White Blood Cells et des deux albums précédents) sont bonnes, diablement malignes, des hymnes pressés qui tirent l’essence du garage-rock, de l’americana, du punk, de la mélodie pop.
Aussi, parce que Jack et Meg White ne se contentent pas de jouer de la musique : ils inventent la légende des White Stripes, ces histoires de frère et sœur ou mari et femme, ils imposent une esthétique, un code couleur, un emballage, un style et une vision.
Archéologie musicale
Groupe intègre, mais pas intégriste, pur et tendre, qui a su séduire au-delà du cercle des amateurs de garage-rock en noir et blanc, Jack et Meg White ressemblent à des enfants sauvages qui jouent la musique de leurs parents, voire de leurs grands-parents, mais avec toujours plus de passion, de fièvre et d’inventivité que de politesse.
Il suffit d’écouter les débuts du rock pour en être convaincu, et les racines du rock (blues, country et folk) pour en faire un dogme : la musique américaine, c’était toujours mieux avant. Grand amateur d’archéologie musicale, Jack White le sait. Son génie est justement d’avoir su faire revenir les grands fantômes du passé dans les disques des White Stripes et dans le rock des années 2000. Faire du neuf avec du vieux, en somme.
“Nous n’avons jamais fait de la musique pour devenir des superstars” Jack White
C’est avec cet album, White Blood Cells, qu’on a découvert les White Stripes, et qu’on a interviewé Jack pour la première fois, en octobre 2001. “On n’a plus envie de faire des interviews, expliquait-il, pourtant prolixe. La presse anglaise s’excite autour de nous, nous n’avons pas compris, nous n’avons rien demandé et nous avons peur qu’on nous oublie au bout de trois mois. Je ne comprends pas notre succès, il nous inquiète parce que nous n’avons jamais fait de la musique pour devenir des superstars.”
On terminait l’entretien en parlant des projets du duo : “On va enregistrer le prochain album à Londres, dans un studio qu’utilise Billy Childish, un petit studio avec du vieux matériel.”
“Assis dans ta petite chambre”
Pour la plupart des groupes, et pour le cliché, le cap difficile est celui du deuxième album. Pas pour les White Stripes, que pas grand monde ne connaissait au moment de leurs deux premiers albums, ces frères jumeaux.
Leur cap difficile est bien celui du quatrième, le successeur du successful White Blood Cells. Toutes choses résumées par avance dans la délicieuse chanson Little Room, qui dit : “Tu es dans ta petite chambre et tu travailles sur un truc bien, mais si c’est vraiment bien tu vas avoir besoin d’une chambre plus grande. Et quand tu seras dans la chambre plus grande, tu pourrais ne plus savoir que faire, tu pourrais avoir à te souvenir de comment tu avais commencé, assis dans ta petite chambre.”
“Un disque de rock’n’roll intense”
Le 24 avril 2002, Jack et Meg se réfugient donc dans une nouvelle petite chambre : le studio Toe Rag, sis à Londres dans le quartier d’Hackney. Ce sanctuaire de la prise de son analogique et vintage a été créé dix ans plus tôt par Liam Watson.
Il est réputé pour avoir banni de son studio tout équipement postérieur à 1963. “Nous voulions un studio où il n’y ait absolument aucun équipement digital, aucun Pro Tools, pas d’ordinateur. On s’est retrouvés face à tant de limitations techniques dans ce studio que ça nous a sauvés de la mauvaise influence qu’aurait pu avoir le succès sur notre musique. On s’est forcés à être encore plus honnêtes qu’avant. L’atmosphère du studio correspondait à ce qu’on espérait faire : un disque de rock’n’roll intense”, nous expliquait Jack en 2003.
Enregistré en dix jours
Toe Rag est l’antre du garage-rock anglais, incarné par l’excentrique, hyperactif et so british dandy punk Billy Childish, dont Jack White est fan. C’est à une copine de Billy Childish, la chanteuse Holly Golightly, que l’on doit le rapprochement entre les White Stripes et Toe Rag. Pour la peine, elle sera invitée à chanter le vaudevillesque Well It’s True That We Love One Another, la première chanson enregistrée pendant la session, et la dernière d’Elephant, en trio avec Jack et Meg.
Un invité chez les White Stripes : c’est la première nouveauté de ce disque. L’autre, c’est que la batteuse Meg chante une chanson toute seule, In the Cold, Cold Night. La troisième, c’est que Jack joue des solos de guitare (ils éclaboussent Ball and Biscuit) et aussi beaucoup de claviers – il a composé la plupart des chansons au piano. L’album est enregistré en dix jours – soit une semaine de plus que les albums précédents.
Bac à sable
Elephant est bien le chef-d’œuvre des White Stripes : un album à la fois varié et cohérent, épique et intimiste, rageur, émotionnel et intelligent, qui aligne comptines enfantines, ballades folk et chansons de terre brûlée.
Un lyrisme inédit, un romantisme noir, éclos chez les White Stripes – on croit parfois entendre des chansons des Beatles, de Led Zep ou de Queen (There’s no Home for You Here) mais jouées à deux, dans un bac à sable désormais trop petit, pour des enfants en pleine croissance.
Meg essuie une larme
Intense, Elephant l’est assurément. Et aussi très sombre. L’album est dédié à “the death of the sweetheart”, qu’on pourrait traduire par “la fin de la romance” si ces quelques mots n’étaient mille fois plus beaux en anglais.
L’énigmatique pochette illustre la dédicace : du côté sombre, en robe blanche spectrale, Meg essuie une larme, alors que Jack regarde vers la lumière, indifférent au chagrin de sa batteuse. En arrière-plan, un crâne suggère une vanité, à la sauce country. Les White Stripes vont se séparer officiellement en 2011, mais officieusement en 2007, après un dernier album et une dernière tournée.
Reflet d’une ville de décombres
Dix ans d’existence, durée idéale, dont le point culminant est Elephant. C’est donc un album de crise, de colère, d’anxiété. “L’album de la maturité” comme une mue, une catharsis, voire un exorcisme. Peut-être aussi le reflet d’une ville de décombres, Detroit, que Jack White allait quitter trois ans plus tard pour s’installer à Nashville, fonder le label QG Third Man Records, multiplier les projets et devenir une sorte de gentleman néo-sudiste.
“Les journalistes qui n’ont pas de platine vinyle ne devraient pas écrire sur les White Stripes” Jack White
Elephant sort début avril 2003. Bien avant “le retour du vinyle”, bien avant Third Man Records, bien avant Lazaretto, son deuxième album solo de 2014 dont la version vinyle a explosé des records de vente vieux de vingt ans, bien avant d’ouvrir une usine de pressage de vinyles à Detroit (fin 2015), Jack White avait imposé que les exemplaires promo d’Elephant envoyés aux journalistes existent uniquement au format 33t. Ethique et esthétique : “Les journalistes qui n’ont pas de platine vinyle ne devraient pas écrire sur les White Stripes… Ça rend le disque plus important : il faut se lever, changer de face, on ne peut pas écouter ce disque tout en discutant au téléphone. Un vinyle, c’est comme jouer dans un petit club quand les portes sont fermées et la lumière éteinte, plutôt que l’après-midi dans un festival en plein air.”
Réécouter Elephant aujourd’hui (dans sa version double vinyle promo, forcément), douze ans après sa sortie, c’est d’abord redécouvrir qu’il est toujours aussi urgent, grimaçant et congestionné, sans avoir pris une ride. Et aussi, qu’il fait partie du club très sélect des albums qui nous intiment de monter le volume, toujours plus fort.