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LASTDAYS

L'exposition photo controversées

9 Mars 2009 , Rédigé par Kitano

Oliviero Toscani, "Kissing-nun", 1992.
1991 Benetton Group S.p.A - photo Oliviero Toscani
Oliviero Toscani, "Kissing-nun", 1992.

Nombreuses sont les photos qui ont fait scandale, déclenché une polémique. Certaines ont choqué le public, blessé les personnes représentées. Elles peuvent mentir, être au coeur de la propagande menée par des régimes autoritaires ou des pays en guerre. La vérité et le mensonge que porte chaque image sont des sources de débats interminables. Sans même parler des clichés de paparazzi, elles sont l'enjeu de procès extravagants autour du droit d'auteur, du plagiat - avec de lourds intérêts financiers à la clé.

La passionnante exposition "Controverses", présentée à la Bibliothèque nationale de France, à Paris, jusqu'au 24 mai, brasse tous ces sujets. Quatre-vingts photos sont sur les murs, dans un ordre chronologique, de 1840 pour la première à 2007 pour la plus récente. Exposition sage et classique, à première vue. Mais chaque image a un double : une douleur, un conflit.


L'exposition avait fait beaucoup parler quand elle avait été présentée, il y a un an, au Musée de l'Elysée, à Lausanne, en Suisse. Son goût de piment devrait attirer un large public à Paris. Tous les thèmes de controverses sont au mur, afin de montrer comment la photographie, par son côté direct et populaire, en prise avec l'actualité, l'Histoire et l'argent, est un art qui peut faire des dégâts.

Beaucoup de photos sont connues - logique, elles ont fait parler. Ce sont même des icônes : Le Baiser de l'Hôtel de ville, de Doisneau ; le portrait de Che Guevara par Korda ; le combattant fauché par une balle durant la Guerre d'Espagne, de Capa ; le prétendu Suaire de Turin qui révélerait l'image du Christ ; le portrait de Bismarck sur son lit de mort ; un portrait de Staline retouché afin de supprimer la présence de Nikolaï Iejov, responsable de purges et fusillé en 1940 ; Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne italienne, pris en otage et photographié par des membres de Brigades Rouges avant d'être exécuté.


Pour ces images célèbres, et pour beaucoup d'autres qui le sont moins ou pas du tout, une chose frappe d'emblée : voir l'image seule ne suffit pas pour prendre la mesure du débat ou du scandale. On se demande même parfois où se loge le problème.

Sauf pour les images qui tournent autour du sexe, comme celles de gamines nues qui ont pu être jugées pédophiles. Ou encore celles qui montrent des corps meurtris ou morts : une main déchiquetée après les attentats du World Trade Center, le prétendu charnier de Timisoara en Roumanie, des prisonniers irakiens humiliés ou torturés par des soldats américains dans la prison d'Abou Ghraib.

C'est là que l'exposition prend toute sa force. Chaque image est accompagnée d'un texte plutôt long qui en raconte l'histoire. Une exposition où l'on passe plus de temps à lire qu'à regarder est rarement un bon signe. Pas ici. Les textes sont clairs, fourmillent de détails, de rebondissements, donnent les enjeux. Avec une fin ou pas.

L'histoire peut être savoureuse. Comme ces quatre années de procès et 2 millions de dollars de procédure que la société Mattel, fabricant des poupées Barbie, a intentés à l'artiste Tom Forsythe, pour avoir montré, en 1998, la pin-up blonde dans une posture jugée désavantageuse - un mixeur pointé sur ses fesses. Mattel a perdu.

L'histoire peut aussi être tragique. Le photoreporter sud-africain Kevin Carter, prix Pulitzer en 1994 pour une photo d'une fillette qui meurt de faim au Soudan, alors qu'un vautour la guette, s'est suicidé après avoir été critiqué à plusieurs reprises sur le thème : "Le charognard, c'est lui."

 

 

Sans le texte, l'image est parfois pauvre, laisse toujours sur sa faim. Et inversement. Aussi, le catalogue, riche et fort bien fait, comportant des informations supplémentaires, est indispensable, sans doute mieux adapté au projet que l'exposition.

Ces images, alignées au mur ou rangées dans le livre semblent désormais assagies. Or, c'est faux. Elles restent ultrasensibles. Nous n'avons pas obtenu le droit d'en reproduire certaines, comme par exemple le portrait délicieux de l'actrice Angelina Jolie qui se fait lécher la poitrine par un cheval blanc (photo de David La Chapelle). "C'est un projet avec beaucoup de charge émotive", explique Daniel Girardin, l'auteur de "Controverses", qui n'a pas obtenu tout ce qu'il voulait, tant ces documents, notamment récents, restent douloureux pour ceux qui les ont réalisés ou ceux qui figurent dessus.

En revanche, deux images, qui ont provoqué des polémiques récentes, ont été ajoutées à la BNF par rapport à l'exposition de Lausanne : la première montre un gardien du Musée d'Orsay qui pose nu devant Le Déjeuner sur l'herbe (1862-1863) de Manet - provoquant un conflit entre le photographe et le musée. La seconde, une photo de Paris sous l'Occupation, par André Zucca (1897-1973), dont l'exposition, au printemps 2008 à Paris, provoqua une polémique monstre au motif que le public n'était pas clairement informé qu'il s'agissait de propagande nazie.

Même la BNF, qui héberge donc cet événement, a fait l'objet d'une polémique. En 2005, pour une exposition Sartre, elle a imaginé une affiche reproduisant un célèbre portrait de l'écrivain, mais en supprimant la cigarette qu'il avait entre les doigts. La presse lui est tombée dessus. Tout cela est joliment raconté à la BNF, qui, beau joueur, a conservé l'image dans l'exposition.


Controverses. Bibliothèque nationale de France. 58, rue de Richelieu, Paris-2e. Mo Palais-Royal. Tél. : 01-53-79-87-93. Du mardi au samedi, de 10 heures à 19 heures ; dimanche, à partir de 12 heures. 7€ et 5 €. Jusqu'au 24 mai.
Catalogue : sous la direction de Daniel Girardin et Christian Pirker, éd. Actes Sud/Musée de l'Elysée, 320p., 45€.

 

Michel Guerrin
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