Saint-Beyrouth-des-Prés
6 Juin 2014 Publié dans #Jérôme Garcin
Si Beyrouth-sur-Mer prolongea Saint-Germain-des-Prés pendant un demi-siècle, c'est par la volonté d'un homme, Antoine Naufal.
L'histoire de sa librairie est incroyable.
On croit rêver. A peine un prix littéraire était-il décerné à Paris qu'il était aussitôt disponible rue du Patriarche-Hoyeck, à Bâb Idriss, où on se l'arrachait. Tous les écrivains français - Gide, Malraux, Aragon, Butor, Sagan faisaient le voyage pour signer en priorité leur nouveau livre dans cette librairie où «l'Art culinaire libanais», de Georges Rayess, voisinait avec les essais les plus pointus de Barthes et de Foucault.
Dans les allées bondées, les textes féministes de Simone de Beauvoir, le libelle de Maxime Rodinson sur Israël ou le «Ni Marx ni Jésus», de Jean-François Revel, suscitaient d'intenses discussions. On y croisait un matin Frédéric Dard et, le soir, Gérard de Villiers. Le «Grand Larousse» y remporta un tel succès (plus de 4000 exemplaires vendus) que son éditeur décida de distribuer le tome 7 au Liban avant même qu'il ne fût disponible en France...
Si Beyrouth-sur-Mer prolongea Saint-Germain-des-Prés pendant un demi-siècle (des années 1930 aux années 1980), c'est par la volonté d'un homme, Antoine Naufal, le fils d'un simple tailleur qui allait devenir le réunificateur de l'Orient et de l'Occident. Malgré les crises et les guerres, il ouvrit une, puis deux, puis trois librairies Antoine, où la littérature française était à la fête et la liberté de penser, imprescriptible.
A ce personnage du Levant hors du commun (ainsi qu'à ses deux frères et alliés), que ni les bombardements ni les pillages n'empêchèrent de prospérer, Nada Anid consacre une passionnante biographie, «les Très Riches Heures d'Antoine Naufal, libraire à Beyrouth» (Calmann-Lévy, 19 euros).
A travers son destin, c'est aussi l'histoire d'un pays idyllique et martyr, où «pétillait le champagne et sifflaient les balles», que raconte ce roman vrai dont le premier titre était «L'homme qui aimait la France». Trente ans après sa mort, et grâce à Nada Anid, la France va enfin apprendre à l'aimer.
1982. La devanture de la librairie après les combats qui ont embrasé le centre-ville. (©Archives famille Naufal)
J.G.
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