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LASTDAYS

Alain Resnais, un réalisateur qui aimait avant tout s'amuser

2 Mars 2014 Publié dans #Télérama

Alain Resnais est mort à l'âge de 91 ans , quelques semaines avant la sortie de son dernier film, “Aimer, boire et chanter”. Il y faisait encore la preuve de l'esprit ludique qui empreignait la plus grande partie de sa filmographie.

« Je le dis pour tous mes films : c’est la forme qui m’intéresse. S’il n’y a pas la forme, il n’y a pas l’émotion »… Ainsi parle Alain Resnais de son dernier film, Aimer, boire et chanter, qui sortira dans trois semaines, le 26 mars. Il s’y inspire à nouveau d’une pièce du dramaturge anglais Alan Ayckbourn, dont il avait, déjà, adapté, Smoking / No smoking, en 1993, puis Cœurs, en 2006.

Smoking / No smoking m’avait ébloui, à l’époque, par son ironie, sa grâce, son humour. Et sa bouffonnerie… Je me souviens du regard surpris (émerveillé comme le petit garçon qu’il était encore) d’Alain Resnais, lorsqu’au cours d’une interview, je lui avais dit que certains passages, avec un Pierre Arditi bougonnant, m’avaient fait me tordre autant que du Blake Edwards… Il avait balbutié que c’était inespéré, qu’il osait à peine le croire, que faire rire était l’une de ses ambitions – hélas inatteignable, selon lui…

Fascinant, tout de même, de constater combien le temps qui, très souvent, fige les cinéastes dans leurs tics et leurs trucs, avait insensiblement délivré Resnais de tout esprit de sérieux. Lui qui avait commencé par adapter Marguerite Duras (Hiroshima mon amour), Jean Cayrol (Nuit et brouillard, Muriel) et Alain Robbe-Grillet (oui, je sais, L’Année dernière à Marienbad était, à ses yeux, un puzzle ludique, mais c’était très intello, tout de même !) avait, peu à peu, avalé par son double facétieux : le manipulateur ironique de Providence, par exemple. Ou l’adepte d’un surréalisme joyeux dans Les Herbes folles, son dernier chef d’œuvre.

Brouchecoutaille

De la légèreté, de la légèreté avant toute chose : c’était devenu sa morale. Un coming out assumé… Et sans doute Alan Ayckbourn lui permettait-il d’atteindre cette futilité à peine mélancolique à laquelle il aspirait. Aussi écrites soient-elles, ses pièces devenaient, pour lui, des boites à fantasmes. Avec ces personnages qui, somme toute, restaient des silhouettes, il pouvait jouer. A les construire, les déconstruire, les modifier, les réduire, les amplifier. Il ne faisait plus que ça : s’amuser ! Avec le temps et l’espace, avec la vérité et l’illusion… Dans Vous n’avez encore rien vu !, il y a deux ans, toujours fidèle à son théâtre bien-aimé, il emmêlait deux pièces de Jean Anouilh (Cher Antoine et Eurydice), faisait interpréter les mêmes rôles par des comédiens différents. Il faisait, disait-il, ce que Raymond Queneau appelait « la brouchecoutaille » : une sorte de ratatouille où les cloisons entre théâtre, cinéma, BD, volaient en éclats…

Dans Aimer, boire et chanter, ils sont, donc, trois couples (Sabine Azéma, Caroline Sihol, Sandrine Kiberlain, Michel Vuillermoz, Hippolyte Girardot, André Dussollier) qui ne peuvent s’empêcher de se dire ce qu’il faudrait taire. Et se cachent ce qu’il faudrait, évidemment, avouer… Un film amusé, triste (la mort y plane comme par inadvertance) et totalement foutraque. Il s’est plu, par exemple, à transporter ailleurs ses personnages, en pleine tirade, comme s’ils étaient des héros de téléréalité, contraints à se confier devant une « Voix » toute puissante… Et de temps à autre, il a filmé une petite taupe sortant de terre, comme pour observer son petit monde. Une taupe aussi incongrue que la petite fille des Herbes folles demandant, soudain, à sa mère : « Dis, maman quand je serai un chat, est -ce que je pourrai manger des croquettes ? »

Pourquoi une taupe ? Nul ne le sait, et surtout pas Alain Resnais. Cette image lui a simplement traversé l’esprit et ne l’a plus quitté. Alors, il l’a filmée. Comme une pirouette de plus. Un pied de nez. Une insolence…

 Alain Resnais, un réalisateur qui aimait avant tout s'amuser
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