Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

20 ans déjà ! Bali, Jérôme Garcin, Cinéma et séries d'antan

David Lynch, la loi du silence

par Elisabeth Franck-Dumas

 

Le cinéaste américain sort un disque, expose des dessins et vient de signer une opération «carte blanche» au Silencio, club parisien privé dont il a dessiné le décor.?Récit d’un rendez-vous étrange où il est question de vieux nightclubs et de tuyauteries.

Adam Bordown

 

Incongrue, forcément, cette rencontre avec David Lynch, qui se déroule six pieds sous terre, au beau milieu de la journée, dans ce club privé nommé Silencio dont il a (mais qui l’ignore encore?) signé le décor.

Il est assis tout seul au fond d’une alcôve nimbée de lumière orange, son indéfectible chemise blanche boutonnée jusqu’au cou, son dos bien raide en bord de canapé, et regarde droit devant lui. Le plus étonnant, dans ce cadre confidentiel, aussi feutré que vide, où toute la circonstance bruisse d’exclusivité, n’est pas ce à quoi l’on s’attendait (à savoir, un hypothétique déroulé des fantasmes qui auraient donné naissance à ce labyrinthe de pièces, à ce tunnel doré, à ce fumoir façon forêt pétrifiée).

Non, le plus inattendu, et le plus réjouissant, c’est cet accent de fermier du Midwest avec lequel il vous salue, cette voix traînante et délibérée qui enfilera les déclarations impénétrables («Je voulais que la salle de cinéma s’apparente à des lignes qui sortent d’un point») et les messages à caractère pédagogique («le mot que vous cherchez est cosy, cette pièce est cosy»). D’un coup moins intimidant, mais toujours plus étrange, d’autant qu’un sourire bienveillant et muet vient souvent s’imprimer sur son visage mobile, souple comme du caoutchouc.

 

« Rien, ici, n’est connecté à l’un de mes films »
Lynch est là pour faire la promo du Silencio, on ne va parler que de ça. Et encore. à une question toute simple sur sa «carte blanche» au club, la programmation de films et de concerts dont il a pris la charge pour quelques jours fin octobre, il répondra avec un air de garçon pris en faute «qu’il n’est pas sûr d’avoir le droit d’en parler».

Et la politique de privatiser l’endroit aux seuls membres jusqu’à minuit? «Ca, c’est une question pour Arnaud (Frisch, le propriétaire, ndlr). Je ne suis pas le patron, j’ai juste participé au design.» Et ce nom de Silencio, qui fait référence au mythique cabaret de Mulholland Drive, a-t-il hésité avant de le léguer à un lieu bien réel? «Ce sont eux qui ont voulu utiliser le nom, j’ai dit d’accord, j’aime le nom Silencio. Ici, c’est très différent du club qui est dans le film, toute l’atmosphère est différente. Mais Silencio est un bon nom. C’est un nom qui a, comment dire…, qui a sa magie.» Il ajoute: «Il n’y a rien ici qui soit connecté à l’un de mes films… Enfin je ne crois pas…»

On ne parlera donc pas de ses films, pas plus que de ses autres et multiples projets du moment. Son album Crazy Clown Time, sombre et hypnotique, qui sort le 8 novembre, David Lynch works on paper, son livre de dessins tout juste publié chez Steidl, l’exposition Mathématiques, un dépaysement soudain de la Fondation Cartier (jusqu’au 18 mars 2012), à laquelle il a très amplement collaboré, et où il a, notamment, scénographié cinq petits robots mobiles en forme de lampes, créatures enthousiasmantes développées par l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique) et dotées de curiosité artificielle. Il les a placées dans un grand œuf percé de trous, où elles gigotent de concert, réagissant aux stimuli offerts par les visiteurs, affublées de têtes grimaçantes en latex blanc (on l’aurait, cela va sans dire, volontiers entendu à ce sujet). Mais on s’égare. Le Silencio, donc.

 

Lynch voulait qu’on s’y sente bien, s’y sent bien lui-même, y apprécie l’éclairage, la salle de projection qu’il trouve «tasty» (savoureuse en anglais), n’y a pas encore, à l’heure de l’entretien, passé de soirée, pense qu’y venir sera comme aller au cinéma, car la foule y donnera chaque soir une ambiance différente même si le film reste le même. Il ne sort de toute façon pas souvent en boîte, voire jamais, mais aime l’idée des vieux nightclubs, surtout ceux de l’âge d’or d’Hollywood, comme celui de l’hôtel Ambassador, comment s’appelait-il déjà, le Tropicana?

Sa pièce préférée au Silencio, les toilettes, marie des miroirs ronds bordés d’ampoules avec un immense évier métallique. «Je suis vraiment content de l’association miroir-lavabo là-dedans. Je suis vraiment, vraiment content de ce lavabo, j’aimais l’idée d’une auge qui, disons, réunirait du monde, et de tuyaux qui amèneraient de l’eau.» Un dépaysement soudain, donc.

Silencio, 144, rue Montmartre, Paris IIe.
silencio-club.com

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article