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30 Mars 2010
Glory to the filmaker
Avoir manqué GLORY TO THE FILMAKER (2007) sorti mi-juillet 2008, alors que j’étais loin de France, m’avait laissé un goût amer. Je n’ai donc pas hésité à faire une centaine de kilomètre pour voir cette production distribuée dans seulement 22 salles.
TAKESHI’S (2006) – bien que sous-estimé – donnait une vision perturbée du réalisateur japonais se cherchant et n’arrivant pas à se trouver. Malgré tout, il en disait plus sur sa condition (une dépression artistique) que précédemment dans l’intime.
Première constatation, Takeshi Kitano est apaisé avec cette histoire linéaire, presque douce malgré 5 décès.
Machisu est un petit garçon qui dessine. Comme c’est le fils d’un riche industriel, il peut se permettre ce qu’il veut et on voit en lui un talent (à l’image du peintre lui donnant son béret qu’il ne quittera plus) qu’il n’a pas. Mais, lorsque son père se suicide suite à une faillite (plus de vers à soie), la vie va le remettre sur les rails d’une vie ordinaire, médiocre, comme sa peinture. Pour autant, il ne va cesser de peindre, essayant de percer ; d’où le titre et le prologue.
Le paradoxe énoncé par Xénon d’Elee est le fait que sur une course de 10 mètres, si on laisse 9 mètres d’avance à une tortue, le plus rapide des coureurs n’arrivera pas à la rattraper car pendant le laps de temps couru pour être à son niveau initial, la tortue aura fait du chemin. C’est donc celui que va suivre notre personnage, essayant de trouver un style, d’en copier d’autres sans jamais arriver à avoir du talent.
Interrogation sur l’art, son commerce, les modes avec un côté ironique, sarcastique comme mentionne le tableau final : naissance, vie, riche, mort. La mort toujours présente.
La phrase emblématique est la suivante : « je ne suis pas peintre, j’aime dessiner ». C’est en cela que l’on reconnaît aussi Kitano derrière son personnage. Lui qui va exposer ses dessins (naïfs, pointilliste découvert dans Hana-bi) à la Fondation Cartier (jusqu’au 12 septembre). Quelle reconnaissance pour ce « gosse de peintre » ; titre de l’exposition ; car il l’est, mais son père était peintre en bâtiment (lire LA VIE EN GRIS EN ROSE, son autobiographie de l’enfance).
La couleur de ce film serait noire, comme le tableau du rhinocéros blanc. Du noir avec du blanc, signe d’espoir prenant forme avec l’épouse. Toujours effacée ou absente, la présence féminine, cette fois donne une autre dimension. Jamais non plus, il n’avait montré de corps de femme nue. Pas de voyeurisme car le modèle sert à la création, et quelle représentation ! La femme est présente par la mère (qui l’abandonne), par l’épouse du frère de son père, par sa fille (qui quitte le domicile familial) et bien sûr par l’épouse qui va illuminer l’épilogue.
On retrouvera au fil des images des clins d’œil à sa filmographie passée : la bande son rappelle Joe Hisaishi avec moins d’ampleur, DOLLS avec la ballade finale, HANA BI pour la scène dans les toilettes (scène scabreuse avec son acteur fétiche), L’ÉTÉ DE KIKUJIRO avec le personnage de l’enfant, A SEA AT THE SCENE pour le personnage décalé, risible mais si touchant en ce qu’il croit avec obstination quitte à tout sacrifier, sans oublier une peinture qui rappelle le paysage du segment pour le festival de Cannes A CHACUN SON CINEMA.
On sourit, la scène hilarante restant celle de la baignoire censée donner l’inspiration : du génie burlesque. La fin donnerait un clin d’œil à L’HOMME SANS PASSÉ de Kaurismaki, tandis que le début nous emmène à Paris en chanson.
Kitano en tant qu’acteur n’apparaît que dans la troisième partie, avec ses mécanismes, méthodes de peinture ridicule, critique du monde de l’art et du spectacle aussi : Beat Takeshi, superstar à la télévision japonaise (ce qui fait de lui un millionnaire) et Takeshi Kitano auteur presque inconnu sur sa terre natale. Derrière les bandages, se révélera plus que l’artiste, sûrement la vie. Ce n’est pas un hasard, si l’un de ses tableaux représentant le midi de la France se trouve accroché lors de la rencontre dans le bar avec sa fille.
Kitano arrive une fois de plus à nous transporter, à mélanger poésie et violence (moindre que précédemment), doute et création, burlesque et tension. Avec ACHILLE ET LA TORTUE, il nous enlève une larme. Takeshi Kitano est guéri, son introspection est terminée, il est prêt pour le retour au film de Yakusa (sortie en juin, OUTRAGES). Le réalisateur n’a pas fini de nous étonner de la palette de son talent changeant mais restant la même, pour qui sait voir la beauté et percevoir l’émotion.