Le cinéma des frères Dardenne peut être classé dans le cinéma social autant que psychologique dans des tranches de vie de personnes souvent à la marge de la société avec un cheminement. J’avais défendu le comportement de ROSETTA (dans le film éponyme, palmé à Cannes en 1999) au Masque et la Plume. Six après j’avais récidivé pour leur autre palme L’ENFANT.
Le cheminement est celui de Lorna : une albanaise qui a fait un mariage blanc avec un drogué pour pouvoir obtenir la nationalité belge et ensuite divorcer pour conclure un autre mariage blanc avec un russe. Les règles et l’argent sont fixés à l’avance mais pas les sentiments, ni le sentiment de culpabilité.
Pour ce film, il y a eu évolution chez Jean-Pierre et Luc Dardenne : la caméra à l’épaule est délaissée pour des plans cadrés, l’ellipse est pratiquée, on entend même une musique dans les dernières secondes du film, mais surtout le parti pris est celui des fausses pistes ou faux-semblants de courte durée.
Par exemple les rapports entre Lorna et Claudy (‘tu viens’ lui demande-t-elle en allant dans la chambre), la grossesse, les rapports avec Sokol.
Evolution de par le fait d’une culpabilité que je préfère nommer liberté.
Lorna est partagé en quatre hommes : son mari avec qui elle n’a aucun rapport ; Sokol qu’elle aime, albanais travaillant dans divers endroits en Europe et avec qui elle veut ouvrir un snack ; Fabio mélange de mac et de manager et enfin le russe, futur mari pour un futur mariage blanc.
Le film a eu le Prix du scénario à Cannes, cela se conçoit tant l’histoire est construite avec ce parcours intérieur comme l’indique le titre. Lorna doit toujours dire oui, elle parle peu mais va beaucoup penser. C’est une honnête femme en ce qui concerne ses rapports avec l’argent. Par contre, il est un point que l’on peut reprendre, c’est celui du basculement qui peut se comprendre et qui va remettre en cause sa personnalité et son but initial.
Le cinéma des frères Dardenne reste un cinéma social qui montre au départ la soumission, l’envie de s’en sortir pour des classes défavorisées avec un prix à accepter. Dans ce film, on ne vend pas son corps, ni ses sentiments mais son temps, son travail pour accéder à un niveau de vie impossible dans le pays d’origine (au moins 6 fois moins élevé qu’en France). Comme Rosetta, Lorna veut y arriver mais chaque prix a aussi un coût qu’il faut être capable de supporter.
LE SILENCE DE LORNA demande de la part du spectateur un investissement, une attention comme l’on en ressent peu au cinéma. Ce film est actif, on ne demande pas de ressentir mais on comprend chaque agissement de chaque personnage, toujours au bord du gouffre voire dans l’illégalité vers un avenir qui n’en est pas un.