Frédéric Bonnaud: «L'obsession de l'audience est le pire des pièges pour le service public»
Le journaliste a répondu aux questions des internautes de Libération, après la décision de France Inter d'interrompre son émission "La bande à Bonnaud".
Christine: pensez-vous que le motif de l'audience, invoqué par France Inter pour justifier votre mise à l'écart, dissimule des raisons plus politiques ?
Frédéric Bonnaud : on peut toujours se poser la question. Les choses se seraient-elles passées de la même façon si quelqu'un d'autre que Nicolas Sarkozy avait été élu ?
Maintenant, je pense que le problème est plus profond. L'obsession de l'audience est le pire piège pour le service public. Il suffit de regarder ce qu'est devenu la télévision publique après
vingt ans de course à l'audimat.
Pamito: vos détracteurs disent que l'audience de «La bande à Bonnaud» était en chute libre. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C'est faux. La radio est un média lent et nous n'avons que quatre vagues de sondages par an. Frédéric Lodéon et Daniel Mermet occupaient ce créneau depuis près de dix ans. Il nous aurait
fallu au moins un an de plus pour les égaler. Mais je répète qu'il n'y a rien de plus efficace que de se shooter à médiamétrie pour casser une chaîne comme France Inter et la détourner de ces
missions de service public.
Eric: comment définiriez-vous votre émission en 5 mots ?
En trois: élitaire pour tous.
Pinpin: pensez-vous que le sentiment de peur et/ou de menace au sein de la rédaction et de l'ensemble des collaborateurs de Radio France concernant leur liberté d'expression et d'esprit
critique est fondé?
Certainement. Tout ce qui se passe à Inter depuis quelques semaines ne peut que renforcer ce sentiment de menace.
Nath: la direction d'Inter reste-t-elle indifférente aux messages des auditeurs?
La direction d'Inter reste totalement indifférente. Je trouve un peu fort de café de me foutre à la porte sans rien me proposer avec une telle brutalité, et une telle mauvaise foi.
Nono: pourquoi le Monde a si peu rendu compte des menaces, puis de la disparition de la BAB?
C'est un peu injuste. Le Monde 2 m'avait gentiment consacré deux pages, il y a deux ou trois ans. Et là, Martine Delahaye a consacré à cette triste affaire un papier tout à fait
complet.
Branleur ardéchois: pourquoi ne pas créer un site internet pour retrouver une liberté de parole ?
Parce que je ne sais pas, parce que j'en suis incapable, mais si vous voulez m'aider, d'accord ! Et puis ce que j'aimais sur Inter, c'est que c'était une radio, à la fois populaire et
culturelle. Quand je suis arrivé, Jean-Luc Hees m'avait expliqué que dans le gouvernement des radios, nous étions le ministère de la Culture. Il considérait sans doute que France Culture était
le ministère de la Recherche. Cette définition d'Inter me convenait tout à fait et j'ai tenté d'en être digne pendant cinq ans. Les choses ont bien changé.
Chris74: pensez-vous que cette «définition» de France Inter va changer?
Je n'ai demandé à n'être ni un symbole, ni un martyre, ni un modèle, mais peut-être que la direction considère que faire sauter le verrou Bonnaud est un bon indicateur du changement de ligne
éditoriale.
Raymond Sens: belle journée de grève sur Inter. A part la tranche 6/9, pourquoi Demorand et Patricia Martin n'ont-ils pas participé à ce mouvement de solidarité?
Il faudrait leur poser la question. Mais je constate que les plus en vue ne sont pas toujours les plus courageux. Il faut quand même noter que sur 24 heures de grève non reconductible, 21 ont
été «blanches», c'est-à-dire qu'il n'y avait que de la musique et des communiqués d'explication.
Derb: doit-on trouver ça si scandaleux qu'il y ait un renouvellement régulier d'émissions y compris sur Inter ?
Pas du tout. Je répète que personne n'est propriétaire de l'antenne. Si on m'avait trouvé nul, j'aurais parfaitement compris. En revanche, l'accusation d'élitisme fait beaucoup rire tous nos
auditeurs.
Pamito: j'avais l'impression que ces temps derniers, France Inter, par sa programmation musicale, faisait concurrence à Nostalgie. Quelle était votre marge de
manœuvre?
J'avais un programmateur musical nommé Djubacka et c'est lui qui choisissait les disques selon les choix musicaux de l'ensemble des programmateurs. C'est comme ça qu'Inter parvient à conserver
une couleur musicale distincte.
Branleur ardéchois: comment ressentez-vous l'émission de Mermet par rapport à la vôtre?
La vérité est qu'ayant pris l'antenne toujours après lui, je n'avais guère le temps de l'écouter. Inutile, je pense, de préciser que Là bas si j'y suis est un des orgueils de France
Inter. Pourvu que ça dure.
Zulma: comment allons nous faire pour pouvoir entendre la parole d'intellectuels tels que Stiegler, J.Généreux, Zizek, Belhaj Kacem que vous nous avez fait découvrir dans votre émission
quand on habite la province et que ces derniers sont peu présents dans les médias de masse?
Rien ne peut me faire plus plaisir que les noms que vous énumérez. C'est exactement comme cela que je conçois mon humble rôle de passeur: faire découvrir des auteurs que souvent je découvrais
moi-même.
Christophe: vos projets pour l'année prochaine ? Car nous souhaitons suivre vos agissements futurs!
C'est très gentil. Je vous assure que pour l'instant, je n'en ai pas la moindre idée. Depuis un mois, je ne fais que deux choses: faire en sorte que la BAB soit bonne jusqu'au bout et me
défendre contre les attaques d'une direction ivre d'elle-même.
Grotougne: Bonjour Parrain, tout d'abord merci pour ces 5 années. Vingt-quatre heures de grèves dont 21 heures blanches, une pétition forte, plus de 20 000 signatures de soutien (ça en
fait, des élites!)... Et rien ne les fera bouger ?
Merci, petit. Mais ne me demande pas de me mettre dans leur tête!
Barleuze: je fais partie des gens très en colère de votre éviction de l'antenne. Nous sommes nombreux dans le même cas. Je n'ai pas de question précise pour l'instant, juste te dire
l'émotion ressentie mercredi à l'antenne (...)
Tu vas me faire pleurer, mais je me suis promis, ce mercredi, que c'était la première et la dernière fois en public. J'ai été un peu dépassé et submergé par l'émission.
Erwann: Il y avait de quoi être submergé. Je pense que tous les auditeurs de l'émission ont été contaminés par l'émotion ! L'alchimie entre vous était palpable. Avez-vous recruté
vous-mêmes vos complices ou l'équipe vous a-t-elle été «imposée» au départ ?
Bien sûr que non. Je les ai tous choisis.
Chris74: et eux que vont-ils devenir ?
Je ne sais pas. La direction s'est engagée à leur proposer quelque chose. Mais quoi? Par ailleurs, une direction de France Inter, qui ne s'aperçoit pas que Fabrice Gabriel est le meilleur
critique littéraire qui soit, est vraiment aveugle. Pareil pour Jean-François Rauger, pour le cinéma et François Simon pour la gastronomie. Quant à Franck Annese, Lilian Thuram n'accepte de
parler qu'à lui! Et eux quatre, personne ne leur propose quoi que ce soit.
Claude: quels sont les espaces de liberté pour ceux qui, comme vous, refusent les compromis(sions) ?
Il faut croire qu'ils ont tendance à se réduire.
Claude: allez-vous retourner vers la presse écrite, ou explorer les possibilités du web?
Le web, je n'y connais vraiment pas grand-chose, en revanche, il est vrai que j'ai très envie de me remettre à écrire.
Pinpin: vous allez donc retourner vers la presse élitiste ? Genre, les Inrocks, Libé ?
Pas forcément. Ce que j'aime le plus, c'est le mélange des genres et je pourrais aussi bien aller sur RTL pour organiser un dialogue entre Bernard Stiegler et Michel Hidalgo. Bon, je
déconne.
Zulma: vous clamiez à l'instant que vous allez vous mettre à écrire. Un roman ? Un essai ? Un scénario ?
Je pensais plutôt à la presse écrite.