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LASTDAYS

20 ans déjà ! Bali, chaîne de Jérôme Garcin, Cinéma et séries d'antan pour 2025.

Scholastique Mukasonga et la fable de l'amazone noire

Il faut battre le tambour pour ce roman à percussion dont la prose est aussi tendue qu’une peau de djembé. Roman? Fable, plutôt. A l’époque où, au Rwanda, se profile le génocide qui sera perpétré par les Hutus, une jeune Tutsie, Prisca, se découvre un don de chanteuse qui la met en transe et va bientôt la convaincre qu’elle porte en elle l’esprit de la princesse Nyabinghi, qu’elle est la réincarnation de la mythique reine Kitami, dont elle prendra ensuite le nom.

Le passage, à Kigali, d’un groupe rasta formé de trois batteurs (l’un jamaïcain, l’autre guadeloupéen, le troisième ougandais) lui sauve la vie et forge son destin. Installée aux Etats-Unis, celle qu’on appelle l’amazone noire va parcourir le monde au galop. Sa voix subjugue les foules, mais aussi son grand tambour, Ruguina («le Rouge-Brun»), qui finira par la tuer.

Lorsque s’ouvre le roman, en effet, Kitami est morte sur une ancienne plantation de l’île de Montserrat, mystérieusement écrasée par ce tambour sacré dont elle seule connaissait l’histoire secrète, les sortilèges ancestraux et le coeur battant. On trouvera chez elle le récit manuscrit qu’elle a laissé de sa brève et convulsive existence. Il constitue l’essentiel de ce conte, porté à la fois par le rythme universel des tambourinaires, la magie des légendes rwandaises et la puissance d’une femme qui a réchappé de la tragédie ordonnée par le gouvernement Kambanda.

Elle ressemble à Scholastique Mukasonga, cette miraculée dont toute la famille de «cafards», de «nuisibles», fut exterminée au nom de la purification ethnique et dont l’oeuvre, écrite aujourd’hui sous le ciel pommelé de Normandie, n’est consacrée qu’à cela: ressusciter ses morts, les honorer dans un tombeau de papier, les veiller.

Avec « Coeur tambour », la mémorialiste d’«Inyenzi» et romancière de «Notre-Dame du Nil» ne prolonge pas seulement, en l’élargissant à la dimension du monde jamaïcain et caribéen, le traumatisme originel, elle donne aussi, jusque dans l’exil, une belle leçon d’insoumission. Car où qu’elle passe et triomphe, Kitami porte haut et fort le chant de son pays natal. Et ce chant, le croirez-vous, on l’entend à chaque page de ce livre ensorcelant, tambourinant. Cartésiens et coeurs froids, s’abstenir.

Jérôme Garcin

Coeur tambour, par Scholastique Mukasonga,
Gallimard, 178 p., 16,50 euros.

Première publication, le 1er mars 2016

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