Jeudi, 8 h 55, Nicolas Demorand envoie un court message aux salariés de Libération : «Ce mail pour vous prévenir que j’ai démissionné ce matin. J’espère de tout cœur que mon départ facilitera le dialogue qui doit être renoué pour sortir le journal de la crise qu’il traverse. J’ai passé à vos côtés trois années enrichissantes, enthousiasmantes et parfois rudes. Je ne les oublierai pas. Je vous souhaite le meilleur. Amitiés.» 8h57 : une alerte push du Monde annonce la démission du PDG de Libération, renvoyant vers une interview sur son site, dans laquelle il «s’explique». Il reconnaît qu’il «cristallise une partie des débats», et estime de sa «responsabilité de patron» de redonner des «marges de manœuvre et de négociation» aux différentes parties. Il espère que son départ permettra «aux uns et aux autres de retrouver la voie du dialogue».

Contre-vérités. Nicolas Demorand glisse aussi quelques contre-vérités au passage, pour justifier le fossé qui s’est creusé entre lui et une très large majorité de la rédaction (une motion de départ a été votée à 89,9% en novembre). Il explique qu’il a tenté depuis trois ans de faire prendre à Libération un virage numérique auquel l’équipe résisterait. Dans la réalité, les journalistes et leurs représentants ont demandé à maintes reprises à leur patron de s’investir et de mettre en œuvre les projets plurimédias élaborés au cours d’ateliers. En vain.

Il affirme aussi que la «rédaction papier» ne fournit en moyenne «que 0,1 papier par semaine et par journaliste sur le site». Aujourd’hui en réalité, environ 50% de la production de Liberation.fr (hors dépêches d’agences) sont produits par des journalistes théoriquement dédiés au papier. Le reste par des journalistes web qui participent par ailleurs eux aussi régulièrement au journal papier. Une rédaction bimédia en somme.

Ces derniers jours, dans le cadre de ces pages «Nous sommes un journal», destinées à informer les lecteurs de la situation à Libé, il avait été envisagé d’expliquer les raisons du divorce entre les journalistes et Nicolas Demorand. La question en effet revenait souvent :mais c’est quoi le problème avec Nicolas Demorand ? Deux textes étaient prévus pour raconter cette histoire. Dans l’un, les salariés auraient donné leur lecture des relations entre Nicolas Demorand et l’équipe. Dans l’autre, lui-même aurait donné sa propre analyse. Ce dernier a finalement refusé de se livrer à l’exercice. Les salariés, plutôt que d’offrir aux lecteurs de Libération un champ sans contrechamp, ont préféré ne pas publier leur texte.

Alternatives. Aujourd’hui, Nicolas Demorand a démissionné, il est temps de tourner la page. L’annonce de son départ n’est que l’officialisation d’une situation de fait. Depuis plus deux mois, Nicolas Demorand n’était plus à la tête de Libération. Un représentant de l’actionnaire de référence avait été nommé pour faire tourner la boutique et mener les négociations avec les salariés.

Désormais, l’urgence pour les journalistes est de construire un projet viable, autour du cœur de métier de Libé : l’information. L’équipe est mobilisée pour proposer de véritables alternatives. Les contributions sont nombreuses, souvent passionnantes, parfois radicales. Il ne s’agit pas de développer un projet définitif, autonome, que les salariés pourraient mettre en œuvre seuls. Plutôt de fournir des pistes crédibles, des propositions chiffrées, pour répondre à un contexte de mutation accélérée du secteur de la presse, développer le journal sur tous ses supports et dans toutes ses formes. Imaginer, aussi, les possibilités de diversification qui permettent d’équilibrer Libération, sans dégrader son nom. Sans en faire une marque vide.

Les salariés de «LIBÉRATION»