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LASTDAYS

20 ans déjà ! Bali, chaîne de Jérôme Garcin, Cinéma et séries d'antan pour 2025.

feu Cavanna, contempteur du point-virgule

Cavanna écrivain nourrissait une grande haine pour le point-virgule. En tout cas il jugeait ce signe parfaitement inutile. Cette détestation était un peu sa marque de fabrique. Peut-être l'assimilait-il – lui, l'autodidacte, le mec pas formaté par l'université – à la culture bourgeoise, à une fioriture pour phraseurs ? c'est seulement une hypothèse (cf. notre note ponctuation cavannesque).
Le lisant, on a l'impression de l'entendre conter son histoire et il est certain que le langage parlé se passe du point-virgule. Un langage qui semble couler de source, alors qu'il est très travaillé et fait un peu penser à la prose de Céline, mais en plus naturel. Un Céline qui aurait été sympa. Un illustre critique de Céline* avait dit de son Voyage au bout de la nuit qu'aucune institution, aucune valeur bourgeoise ne sortait indemne de ce récit, mais qu'il détruisait aussi toute raison d'espérer et ne menait qu'à la haine et au désespoir. Cavanna, s'il étrille les institutions, le patriotisme, tout ce qui est officiel, comme Céline, ainsi que les préjugés qui pourrissent le quotidien de tous, n'en porte pas moins son lecteur à rire, à aimer la vie et aller vers les autres, malgré tout.

Puisse son trépas servir sa cause et inciter à le lire, en particulier sa trilogie autobiographique : Les Ritals, Les Russkoffs et Maria ! Et s'il fallait n'en citer qu'un, cela serait le second. La guerre vue d'une usine d'armement à Berlin par un jeune homme pris dans les rets du STO* français et sous les bombes alliées. Pourquoi ce titre, nous direz-vous. Car dans cette usine travaillaient beaucoup de Russes, hommes et femmes, des quasi-esclaves. Et Cavanna tombera amoureux de l'une d'entre elles, Maria. Maria, qui disparaîtra dans la confusion de la fin de la guerre sans qu'il apprenne jamais ce qui lui était arrivé.

A titre d'exemple, cette histoire qui se situe à la fin des Russkoffs, à moins que cela ne soit au début de Maria. L'auteur, rentré à Paris, va au cinéma. Avant le film, il y a les actualités filmées : elles sont à la gloire de la police parisienne et de sa non moins glorieuse participation à l'insurrection de Paris à l'été 44. Aussitôt les sifflets fusent de partout dans la salle.
Pendant quatre ans, la police française avait fait la chasse aux juifs, aux résistants, aux communistes (et aux petits gars qui ne voulaient pas partir au STO). En quelques jours d'insurrection et quelques morts elle s'était ainsi rachetée. On passe l'éponge et on acquiert à bon compte un certificat de résistance. C'était la naissance de la légende dorée et elle a toujours cours aujourd'hui. Mais à l'époque, si près des événements, c'était une provocation pour le public de ce cinéma. Rien que pour cette anecdote, merci, Cavanna, on ne mourra pas idiots.

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* Léon Trotsky. Quand le Voyage est sorti, beaucoup de critiques ont cru que son auteur, un parfait inconnu, était un "compagnon de route" des communistes.
* STO : service du travail obligatoire (en Allemagne).

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