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24 Novembre 2013
A peine arrivés en France, des demandeurs d’asile se retrouvent SDF à Roissy, faute de place dans les centres d’hébergement. Voyage hors piste au terminal 1.
Au premier coup d’oeil, ils ne sont pas repérables. Mais dans le décor rutilant de Roissy, des ombres se faufilent, le sac au dos. Ce sont des étrangers, tout juste sortis de la zone d’attente de l’aéroport. Libérés parce que leur demande d’asile est recevable, ils font un tour à Paris, déposent leur dossier à la préfecture, tentent de trouver un hébergement, essaient le 115, en vain. Epuisés, ils reviennent à l’endroit qui leur est le plus familier pour dormir, incognito. Avec réveil obligatoire entre minuit et quatre heures, évacuation des lieux oblige. Pour se nourrir, ils passent au local de la Croix-Rouge, niché au sixième étage du Terminal 1. En attendant une place dans un Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada).
Yazan, un Syrien de 18 ans, vient d’une ” bonne famille, qui a de l’argent”. Baggy, sweat-shirt et boucles emmêlées, il a un look de skateur parisien. Il y a dix jours, en transit à Paris après avoir passé des vacances aux Etats-Unis, il apprend par téléphone qu’il ne doit pas remettre les pieds en Syrie. Plusieurs membres de sa famille ont été tués. Il décide de demander l’asile à la France. Les yeux cernés, il raconte “la pire semaine de toute sa vie”. Aucune structure d’hébergement ne peut l’accueillir. Tandis que ses amis s’activent depuis la Syrie pour lui trouver une solution, il se cache pour dormir, à l’aéroport ou à la station de métro Vaugirard. Chaque jour, il repasse au local de la Croix-Rouge, le seul repère qu’il ait, pour ne pas crever de faim. Et chaque nuit, les deux mêmes mots lui vrillent la tête : “Fuck, it sucks.”
Imani, un Népalais de 28 ans, naguère persécuté par la Ligue des jeunes communistes maoïstes est avachi sur le canapé du local de la Croix-Rouge. Il prévient, en anglais : “Je ne veux pas retourner au 1-1-5.” Il préfère dormir à Roissy. De toute façon, cet après-midi-là, on lui a expliqué que le 115 explose. Venu au local parce qu’il avait “besoin de parler à des gens”, il joue au morpion avec Amadou, 7 ans, qui vient d’arriver de la zone d’attente avec sa maman.
Le local de la Croix-Rouge est au fond d’un couloir du niveau technique. Minuscule, sans fenêtre, ni aération ni point d’eau. Une pièce pleine de valises entassées, louée par les Aéroports de Paris “plus de 40 000 euros l’année”. Quatre salariés et quelques bénévoles s’y relaient pour accueillir les nouveaux arrivants : “La première chose qu’on leur apprend c’est de gruger dans le RER, en montrant leur sauf-conduit. On a même pas de quoi leur acheter des tickets.” Au local, des montagnes de yaourts : “Le résultat d’un accord passé avec Carrefour. Au moins, on peut les gaver de produits laitiers…”
Pour le gestionnaire privé de Roissy, “la situation est complexe” et “ne satisfait personne mais on ne peut pas faire le tri entre les SDF ordinaires et les demandeurs d’asile”, soulignant le risque que les indigents s’installent et que “le problème perdure”. Pour éviter ça, ADP a donc décidé d’expulser, de minuit à quatre heures, tous les sans-abris de l’aéroport. Avec, à l’appui, des rondes de maîtreschiens. Dès 22 h 30, les entrées sont filtrées et des grilles sont montées à Roissypôle, à la sortie du RER.
Christophe Blanchard, sociologue, a travaillé huit mois à l’aéroport. Pour lui, Roissy devient un ” havre de paix” pour les exclus de Paris. Chaud, propre et sûr. De son côté, le docteur Philippe Bargain, médecin depuis quinze ans à Roissy, rencontre des cas extrêmes, ceux qui n’ont pas pu s’en aller : “Des types en orbite planétaire qui se sont fossilisés à Roissy. Ils voyagent par procuration. Ils se déguisent en passager. Mais s’ils s’arrêtent longtemps à Roissy, c’est que c’est pathologique.”
Uchuna, qui cale sa paillasse dans des recoins de l’aéroport, a fui le Nigéria cet été, à 30 ans. Depuis plusieurs jours, il dort là, en attendant, parce qu’il ne trouve rien d’autre. “Mais il n’y a pas grand monde qui pourrait survivre à ça”, dit-il, avouant que sa principale crainte est de devenir fou. “Je vois tellement de fous chez vous. Ils ne l’étaient pas chez eux, ils le deviennent dans votre pays”. Il a le regard vif, pourvu qu’il ne se fossilise pas.
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par Olivia Müller