BALI 7 : Signes
Lorsque je vois le reflet de mon visage sur l’écran de mon ordinateur, j’y vois une personne aux traits fatigué sous les yeux. Je pense avoir bronzé mais en ce moment, ce sont mes yeux qui sont rouges. La conjonctivite – ou ce que je pense être une conjonctivite – commence à passer, ma tendinite est presque du souvenir. Il n’y a que le tout petit qui ce matin, a une marque rouge à l’oreille. Vu qu’il se tortille comme un vers, il a dû taper son oreille contre la barre du lit.
Pour la première fois, c’est moi qui me lève. Il est à peine 7 heures. Le Komala est calme est au fur et à mesure, je vais voir les personnes aller et venir. Ma compagne dort. Elle a passé une mauvaise nuit. Peut-être n’aurais-je pas dû lui donner des nouvelles de France.
A la cuisine, lors du petit déjeuner, les gens vont et viennent. Georges l'australien a pris deux tasses de thé pour la boire dans son bungalow, sa copine indonésienne est finalement revenue comme annoncé. Il y a l’homme au surf, sûrement un australien, qui ne saisira pas la question de l’italienne pour engager la conversation. Elle vient d’arriver et a un certain style : petite robe noire qui laisse apparaîtrer ses tatouages sur son épaule gauche, elle a une coupe au carré et une frange sur ses cheveux noirs. Elle est arrivée avec un livre et a lu quelques pages.
Le monsieur qui a trois enfants est arrivé avec son petit dernier. Il nous dit que sur la Legian, il y a des chutes d’eau où peuvent jouer les enfants. Son enfant est trop grand pour jouer avec mon tout petit et trop petit pour jouer avec le grand. Un enfant indonésien tout nu, joue avec son camion ; mes enfants regardent l’objet avec envie. Sa maman – une jeune indonésienne – vient le chercher, en poussant son camion avec le pied ce qui le fait pleurer. C’est l’enfant que j’ai entendu pleurer hier soir. On a vu la dame âgée qui a acheté à Wayan une prise. On lui demandait 100 000 roupies dans la rue pour un objet qui n’en vaut que 12 000 !
Pour ce voyage, je me sens comme le capitaine d’un bateau qui affronterait de fortes vagues, des tempêtes et qui devrait faire front sans savoir si son bateau va franchir toutes ces difficultés mais qui doit être à la barre de son embarcation. L’oreille du tout petit enfle. Je me suis trompé, ce n’est pas un coup mais deux piqures d’insecte. Enfin, j’espère que c’est cela. Granulés et pommade. On verra plus tard.
On est allés manger au Warung Seven (à gauche du carrefour du Brazil devenu Frog, direction Senen), on ne peut pas le manquer, il fait l’angle et il y a un tableau avec le chiffre 2$. J’ai cru entendre que le monsieur aller à la messe le dimanche. Mon poulet à la sauce de soja était bon, malheureusement pour les enfants, celui à la noix de coco était très pimenté malgré le fait que l’on est précisé « tidak sambal » (no spicy). Il va finir sur la liste à éviter. C’était épicé … pas possible pour les enfants.
J’ai eu des nouvelles de France et le dernier film de mon neveu s’est reconstitué, enfin presque. Un samedi soir, une fête, une fin de fête, un retour, la fatigue ou un animal sur la route, la voiture contre le seul arbre. Vers 6h30, on retrouve le véhicule et le corps. Fin. Mais pas pour la police : autopsie, analyse de sang pour savoir s'il avait bu, pris de la drogue. Négatif. inspection de son téléphone portable et audition de deux personnes.
Sur cette histoire, il pourrait y avoir un puzzle a deux faces : ce que je viens d’écrire et une autre interprétation du destin. Celle d’un enfant qui a été élevé comme un petit roi, jusqu’à que ses parents divorcent. La mère malade ne peut s’en occuper, le père en a la garde, il retourne chez ses parents. Le petit sera alors élevé par ses grands-parents, car son père se remariera et l’enfant ne trouvera jamais sa place.
Dans cette disparition, c’est comme si le message était « vous ne me vouliez pas de mon vivant, vous vous rappellerez de moi mort ». La dernière fois que j’ai vu mon neveu, il ne voulait plus parler avec son père, il avait rompu les ponts. Il était mieux. Son père avait choisi entre sa nouvelle femme et lui depuis longtemps. Il n’avait pas trouvé une place au sens propre comme au sens figuré dans une maison. Partagé entre une habitation professionnelle (il était logé) et une petite chambre pour certains week-ends et les vacances, il remontait doucement une pente qui s’apparentait à une dépression.
Il y aurait beaucoup à écrire mais je préfère m’arrêter aux signes. Un jour, un de mes frères va voir un médium (terme que je préfère à voyante) qui procède par flashs. J’en ai rencontré un, lorsque je demandais une mutation. Le médium m’avait dit ‘je vois des montagnes’. Je me voyais alors dans la neige. Cela ne fut pas le cas, je fus muté à quelques minutes de mon travail. Mais, de ma maison, je vois clairement dessiner … des montagnes !
Mon frère va donc voir un médium qui lui annonce « un de vos frères mourra dans un accident de voiture ». Ce fut mon neveu. On pourrait dire que le médium s’est trompé mais en fait, il a fait une interprétation de ce qu’il ressentait. Mon neveu a été élevé en grande partie par mes parents, il a vécu dans notre maison, mon neveu était un petit frère avec une grande différence d’âge.
Je n’étais pas à l’enterrement. Cela a évité que je dise à mon frère son comportement de déni dans ce triste moment. Un des copains de chambrée de mon neveu n’a pas pu finir son discours à l’église, c’est son supérieur qui s’en est chargé.
Mon neveu est mort le jour de l’anniversaire de sa belle-mère. Il y a des gâteaux d’anniversaire qui auront un goût amer.
Revenons avec les vivants et à Bali. Ici, j’ai eu des signes, depuis le début du voyage et même avant ! J’avais dit avant de partir que si cela n’allait pas, j’arrêterai les voyages. Certes, on a surmonté tous les tracas mais cela fait beaucoup pour un capitaine qui poursuit sa route droit sur le pont, face aux vagues. Un capitaine, comme un père.